Au fil de l’histoire – Des lieux, des gens
Rédaction Marie Josée Bourgeois
12 juin 2024
« Les Indiens, eux autres, ils se guident sur le courant d’un ruisseau, ils prennent le courant d’un ruisseau, pis ils le suivent. Ce p’tit ruisseau là va tomber dans un autre plus gros, l’autre va tomber encore d’ain un autre plus gros. Ils suivent ça, pis après ça, ils viennent qu’ils savent toute ça par cœur, […] ils voyagent comme cela. »
Jean-Guy Paquin, Il est resté quelque chose de la mer, p. 19.
Illustration 34– Un rabaska négocie un rapide. Peinture de Francis Anne Hopkins, Bibliothèque et Archives Canada/C2774f.
Et quand ils rencontrent un obstacle, chute ou rapide, ils le contournent. Ils descendent du canot et le portent sur leurs épaules jusqu’au prochain plat. S’ils arrivent au bout d’un lac, au fond d’une baie, ils font de même, ils le portent jusqu’au prochain point d’eau. Ils vont ainsi d’est en ouest, du nord au sud, oui, « ils voyagent comme cela ». Ainsi se forment les sentiers, les premiers chemins de terre que parcourent les autochtones depuis des millénaires, ces voies terrestres que l’on appelle pistes de portage et qui deviendront nos routes, nos rues, nos pistes de motoneiges, de quads de bicyclettes ou de randonnées.
Les rivières, les lacs, les portages et les sentiers relient les peuples de notre continent pour les échanges commerciaux et amicaux depuis qu’il y a des hommes sur notre territoire, soit des milliers d’années, donc bien avant la traite des fourrures — à laquelle on associe souvent les portages — qui, elle, ne faisait que suivre des itinéraires établis depuis fort longtemps.
Illustration 35 – Les Premières Nations ont coulé leurs pas dans les sentiers façonnés par les orignaux pour se rendre d’un point d’eau à un autre. Le mot « orignal » vient du mot basque oreinak », Samuel de Champlain le nommait « aurignac ». Photo Derald Lobay, site Fédération canadienne de la faune.
Parfois, ces pistes de portage se mêlent ou s’ajoutent aux sentiers façonnés par les orignaux le long des cours d’eau. L’orignal, qu’on retrouve d’un bout à l’autre du Canada, est une source de nourriture traditionnelle pour les peuples autochtones qui partagent son habitat. Normal que l’homme et la bête se croisent. Et l’orignal, cet herbivore et solide nageur qui aime tout autant les plantes aquatiques, sait trouver le chemin le plus court et le moins énergivore entre deux points d’eau. Normal qu’ils se côtoient.
Essayons maintenant de saisir ce que voulait dire un voyage en ces temps anciens. Champlain, vers 1613, raconte dans ses écrits que les Weskarinis, notre peuple du Chevreuil, parcouraient la distance de la rivière des Outaouais à Nominingue en quatre jours.
Illustration 36 – Tracé de l’expédition menée par le chevalier de Troyes au printemps 1686 en route vers la baie d’Hudson. Carte extraite du musée virtuel du Musée canadien de l’histoire (www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/les-explorateurs/pierre-de-troyes-1686/ ).
En 1686, les frères Le Moyne, Pierre Le Moyne d’Iberville, Jacques et Paul prennent part à une expédition contre les postes de traite anglais de la baie d’Hudson : 1 200 km en raquettes, traîneaux et canots, qu’ils franchiront entre avril et juin. Ils seront une centaine, voyageurs, soldats et guides autochtones. Le voyage se fait en empruntant la rivière des Outaouais jusqu’au lac Témiscamingue puis, en passant par une série de lacs et de cours d’eau exigeant d’exténuants portages, ils atteindront la côte sud de la baie James, 85 jours plus tard. Dire qu’ils n’étaient pas encore rendus à la baie d’Hudson!
Illustration 37 – Illustrant montrant la « colonne des cent hommes » prenant part à l’expédition vers la baie d’Hudson de 1686. Société d’histoire de Rouyn-Noranda, Passage de l’expédition du chevalier de Troyes dans la région de Rouyn-Noranda, 30 mai 1686.
Pour aller de Montréal au Pacifique, à l’époque de William Mackenzie et Simon Fraser, il leur fallait exécuter 100 portages. En France, durant ces années-là, 1789-1793, la révolution fait rage alors que la colonie britannique est en pleine conquête de l’Ouest canadien.