par Claude Lamarche
Il y a 350 ans, j’étais là mais pas encore nommée
En 1674, j’étais de ce grand territoire de 25 lieues désormais nommé Seigneurie de la Petite-Nation.
Avant-avant, j’étais argiles marines dans la mer de Champlain,
Avant, j’étais forêt, rivières et ruisseaux, terrain de chasse et de pêche des Weskarinis.
Je ne savais pas alors:
que je faisais partie de la chaîne de montagnes Laurentides,
que j’allais me détacher de deux voisines fondées et nommées depuis cinquante ans,
que j’allais devenir paroisse au début du vingtième siècle.
Je suis de frêne blanc, de tilleul et de noyer cendré,
Je suis de pins rouge, blanc et gris et de couchers de soleil orangés.
Je suis de buttes et de collines, de roches métamorphiques.
Je suis de la Petite rivière Rouge et des ruisseaux Sam, Pearson et Suffolk.
Et surtout, je suis de dépôts sableux et de terre légère, sol idéal pour la culture de la pomme de terre.
En 1902, Ariste Bock, Anthime Paiement, Moïse Charron et Anthime Cloutier se rencontrent, discutent et s’adressent à l’archevêque d’Ottawa, Mgr Thomas Duhamel.
Saint-André-Avellin et Notre-Dame de Bonsecours me laissent aller et, enfin, en 1902,
je suis constituée canoniquement d’abord, puis civilement.
J’existe enfin, nommée, désirée, choisie.
Je ne suis plus ce vague territoire du nord de la seigneurie de la Petite-Nation.
De monts et de vaux, je deviens plateau.
Je suis terre d’avenir, terre d’espoir.
Je suis forêt à défricher, champs à cultiver, maisons à bâtir,
aussi de messes à chanter, mariages à célébrer, familles à établir.
De Labelle ou de Prescott, de Saint-André-Avellin ou de Montebello, sont venus les Lauzon, Bock, Deschambault et Lanthier; ils choisissent le rang Saint-Augustine.
Les Pilon, les Laporte, les Lalonde s’établissent au village, entre rang Gustave et rang William.
Les Bédard, Brazeau, Bigras, Deschâtelets, Legault, Perrier, Rieux et Robillard dans le rang Thomas.
Les Pharand et les Chartrand, dans le rang Procule.
Sont venus aussi des Gauthier, des Perrier.
Les Tessier deviennent Lavigne, les Deguire deviennent Larose.
Je suis de ces hommes et de ces femmes qui ont fait et font encore qui je suis.
J’ai encouragé les commerçants, les hôteliers, les restaurateurs, les mécaniciens.
J’ai vu naître des maires, préfet et député, des policiciens.
J’ai vu se former des organisations, des clubs, des comités.
J’ai vu s’établir des artistes peintres, des artisan.e.s, des auteur.e.s et même des inconnu.e.s.
Plusieurs étudiant.e.s sont parti.e.s, sont revenu.e.s.
Quelques discrètes célébrités vivent ailleurs leur vie quotidienne,
mais ne renient pas leur origine pacificienne.
Je vois tout ce beau monde s’entraider et s’entredéchirer, se reproduire ou s’ignorer.
Pour un coin de terre, pour un principe.
Certains fonceurs, d’autres plus craintifs.
Chacun avec ses idées, ses ambitions et ses choix.
Toujours pour le meilleur. Enfin, je crois.
Je me réjouis de toutes les saisons, des semences aux récoltes, des vents froids aux étés chauds.
J’ai vécu des carnavals d’hiver, des Festival de la patate en été.
J’ai vu les jeunes jouer à la balle molle, au soccer, au hockey, à la ringuette.
Était-ce un fantôme ou ai-je entraperçu Jack Rabbit, cet homme qui a conçu le saut à ski du Seigniory Club à Montebello, dans la forêt enneigée qui borne la municipalité?
J’ai deux ou trois bâtiments dignes d’intérêt, publiés dans un livre sur le patrimoine.
Au fil des ans, les commerces se sont raréfiés, la caisse populaire a fermé, l’école n’est plus une école. J’aurais voulu plus, mais l’important, c’est que je sois accueillante.
Que de jeunes familles aient envie d’y venir.
Pour travailler, pour cultiver, pour y vivre plus que les étés.
Je suis triste de voir les octogénaires mourir alors que naissent peu de bébés.
Je suis un peu morte quand l’église a passé au feu, quelques mois avant son centenaire.
J’ai été dévastée de voir la démolition du presbytère.
Pour se recueillir et parler à nos morts, il reste le cimetière.
Je veux qu’on me nomme, qu’on ne m’oublie pas, que je ne disparaisse pas.
J’étais là, indéfinie il y a 350 ans, au temps de monseigneur Laval.
Bientôt 125 ans
que j’ai un nom bien à moi,
que je souhaite fierté aux Pacificiens et Pacificiennes,
que je veux vivre et prospérer… dans la paix,
que je veux laisser bien plus que de merveilleux et célèbres couchers de soleil.
Je suis Notre-Dame-de-la-Paix!