par Marie Josée Bourgeois
16 octobre 2024
Papa ours et la petite histoire
Seul un enseignant comme Raymond Whissell accepterait qu’on l’appelle « Papa ours », un surnom donné par ses élèves, pour sa barbe, semble-t-il. Loin de penser qu’on lui manquait de respect, il a toujours su que ses élèves l’avaient en haute estime et il portait ce sobriquet avec beaucoup de fierté. Il a enseigné dans différentes écoles de la Petite-Nation entre 1964 et l’an 2000 et, à la fin de sa vie, il se souvenait encore des noms et des visages de presque tous ses élèves. Certains d’entre eux, devenus adultes, l’interpellaient encore avec un Papa ours. Comme le dit si bien Olivier Lefrançois, un collègue de travail à l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau, « c’était un enseignant cool et compétent, aimé de tous les jeunes ».
Né à Saint-André-Avellin en 1944, Raymond Whissell vient d’une famille très impliquée dans la politique et le bénévolat. À l’origine, son père Benoît était cultivateur, mais il a tôt fait de se lancer en affaires et en politique; il a été maire du village pendant 40 ans. À sa retraite, Benoît crée la Corporation des affaires culturelles, laquelle travaille à mettre sur pied le Musée des Pionniers, inauguré en 1992, où logera la Société historique de Saint-André-Avellin. Son implication a encouragé ses enfants à suivre ses traces. Sa fille Thérèse Whissell sera elle-même mairesse entre 2005 et 2017.
Quant à son fils Raymond, très tôt, il se destine à des études supérieures, ayant beaucoup plus d’aptitudes pour étudier et lire que pour travailler la terre et traire les vaches. Comme son père avant lui, à sa retraite, il trouvera au musée de quoi occuper tous ses temps libres. En tant que président qui aura officié depuis l’ouverture du musée jusqu’en 2018, il donnera à l’institution un souffle et une vigueur à la hauteur de sa grande passion pour l’histoire et le patrimoine. Il gardera aussi contact avec ses anciens élèves, ses collaborateurs et ses amis de la communauté patrimoniale qui étaient toujours confiants, en s’arrêtant au 20 rue Bourgeois, de le retrouver au musée à travailler dans le « haut-côté » ou dans la remise au fond de la cour.
Illustration 99 – Papa ours et son petit-fils Alexandre, le 26 décembre 2012, sur le chemin Marcotte, à Saint-André-Avellin. C’est Maman ourse, Monique Fillion, qui a pris la photo. Le couple compte deux enfants, Roxanne et Maxime, et trois petits-enfants. Tirée de son site Facebook en octobre 2024.
À voir sur le présentoir à l’entrée du musée tous les ouvrages que Raymond a écrits seul ou en collectif, on pourrait facilement le qualifier d’homme aux milliers de mots. En tant que président de la Société historique de 1996 à 2018, il lui était très important de laisser en héritage ses connaissances sur l’histoire de son coin de pays et de partager avec ses collègues ses talents de rédacteur, d’auteur et d’éditeur. Son amour pour le patrimoine bâti et immatériel lui donnait des ailes pour fouiller tous les recoins de la petite histoire et la diffuser à tout vent.
Illustration 100 – La série de fascicules intitulés « Les gens d’ici se racontent » présente un résumé de leur vie. Vous remarquerez qu’il y a autant d’hommes que de femmes. Une autre série très populaire « Les Bribes historiques », 32 en tout, aborde un fait, un événement, une tradition, une légende ou une idée qui a marqué l’histoire du village.
Illustrations 101 a et b – La remise aux trésors, remplie de nombreuses machines aratoires anciennes. Photos, Denise Vaillancourt, 2018.
Raymond avait fait du Musée des Pionniers sa deuxième maison. Le musée présente aujourd’hui près de 1 000 objets anciens et artefacts : meubles, vêtements sacerdotaux, vêtements d’époque, bijoux, outils, photographies, écrits, vidéos, romans rares, manuels scolaires, archives et j’en passe.
Illustration 102 – Une jeune visiteuse s’est prise d’affection pour une poupée vieille de 150 ans, faisant partie de la collection du Musée des Pionniers, qu’elle a visité avec ses parents lors d’une activité tenue dans le cadre des Journées de la culture de 2024. Photo, Marie Josée Bourgeois.
Papa ours est décédé un dimanche de mai 2021. À la suite d’un malaise, il s’est affaissé près de la voiture où son épouse Monique l’attendait pour le conduire au musée. Il lui avait dit vouloir passer une couple d’heures au bureau. Il ne se remettra pas de cette chute. Le couple devait fêter son 50e anniversaire de mariage cet été-là. Et comment se sont-ils rencontrés ces deux-là? Monique, une finissante en 1970 de l’École des infirmières de l’hôpital du Sacré-Cœur de Hull, se retrouve sans cavalier pour l’accompagner à son bal de graduation. Par l’entremise d’amis, Raymond, alors enseignant à Montebello, se voit confier le mandat. Il faut croire qu’il l’a bien réussi, puisqu’ils se mariaient l’année suivante!
Sommes-nous surpris? Tout ce que Raymond a entrepris de réaliser fut couronné de succès. D’ailleurs, son village de Saint-André-Avellin, la région de l’Outaouais et la province ont tous reconnu son immense apport communautaire. Raymond fut le récipiendaire de 15 médailles, prix et citations au cours de sa vie professionnelle, dont un Hommage à l’Assemblée nationale du Québec en 2017 juste avant sa retraite de la présidence du musée.
Attention le ciel, vous avez tout un entrepreneur là-haut! Est-il déjà en train de travailler à un Musée des cieux ou à un congrès sur la petite histoire, la nôtre, celle des gens d’ici? Je parie qu’il y aura toute une file au bureau des inscriptions pour ce congrès!
Illustration 103 – Raymond dans sa « deuxième » maison. Photo, Denise Vaillancourt, 2018.
Pour en savoir plus
- Whissell, Thérèse, La merveilleuse histoire de l’Ange de la rivière de la Petite Nation, Société historique de Saint-André-Avellin, 2024, 88 pages.
- « Raymond Whissell, que de souvenirs à évoquer » dans Les gens d’ici se racontent, Saint-André-Avellin, volume 13, 2024, p. 57-65.
- Musée des Pionniers, museedespionniers.qc.ca/