Au fil de l’histoire – Nos héros
Par Marthe Lemery
Collaboration à la recherche Marie Josée Bourgeois
24 octobre 2024
Il y a sûrement quelque chose de spécial qui coule dans la rivière de la Petite Nation pour que d’aussi bons joueurs de hockey y soient nés, Guy Lafleur, Stéphane Richer […]
Ghislain Sabourin[1]
[1] Extrait du « dossier Stéphane Richer », publié dans L’Écho des montagnes, bulletin du Comité du patrimoine de Ripon, en juillet 2021. En ligne à https://patrimoineripon.ca/stephane-richer/
Quelque 100 ans après qu’il eut accroché ses patins, le nom de Louis Berlinguette ne nous dit plus rien. Et pourtant, il fut de son temps un sacré ailier gauche au sein de l’équipe des Canadiens, avec laquelle il a joué de 1912 à 1923. En 1916, il remporta avec ses coéquipiers la toute première coupe Stanley de l’histoire des Canadiens, en battant les Rosebuds de Portland.
Né en 1887 dans la municipalité de Sainte-Angélique (la paroisse rurale qui entourait le village de Papineauville avant la fusion en 2000), Louis était le cadet des 8 enfants de Louis Berlinguette[1] (1844-1926), un cultivateur, et d’Adeline Robitaille (1846-1931). Dans l’alignement de la Sainte-Flanelle, Berlinguette a eu l’occasion de jouer dans les éliminatoires à quelques reprises, y compris en 1919, lorsque le Canadien, en avance dans la série, a dû déclarer forfait devant un adversaire de taille… la grippe espagnole! Berlinguette, dont on disait qu’il était vite sur ses patins et réputé pour ses solides mises en échec, à défaut d’être un bon compteur, fut l’un des joueurs atteints par l’influenza. Ce printemps-là, la Ligue nationale de hockey, qui en était à sa deuxième année, a décidé de suspendre la compétition devant la progression rapide de l’épidémie. Dans cette époque d’avant les matchs télévisés et les contrats mirobolants, Berlinguette a quand même réussi à laisser sa marque dans les journaux du temps. Il a pris sa retraite du hockey en 1927, et a fini ses jours dans l’anonymat à Rouyn-Noranda, en 1959.
[1] Le père de Louis, et donc grand-père paternel de notre joueur de hockey, Louis-Thomas Berlinguette, a exploité un traversier à Plaisance, le Berlinguette Ferry, qui permettait de franchir la rivière de la Petite Nation avant la construction du premier pont, en 1866. La « maison du traversier » existe toujours et peut-être vue de la 148, non loin du pont de chemin de fer qui enjambe la rivière.
Illustration 104 – Louis Berlinguette a été le premier des hockeyeurs de la Petite-Nation à s’illustrer dans la Ligue nationale, même si son nom est aujourd’hui tombé dans l’oubli. Il a élevé dans les airs la précieuse Coupe Stanley en 1916, avec ses coéquipiers du Canadien de Montréal.
On aurait dit un destin écrit dans le ciel. Celui du petit gars de Thurso, né en 1951 au sein d’une famille honnête et travaillante, qui n’avait qu’un rêve, devenir aussi bon sur la patinoire que son idole, Jean Béliveau. De tournois pee-wee en compétitions dans les ligues de hockey mineur et junior, glanant au passage une pléiade de trophées et d’honneurs, notre jeune Guy voyait son étoile briller, de plus en plus fort, jusqu’à atteindre « l’inaccessible sommet » : la Ligue nationale de hockey, et mieux encore, l’équipe de son idole, le Tricolore. Premier choix du Canadien au repêchage amateur en 1971, Guy n’a alors que 19 ans… la légende du « démon blond » (ou Flower, comme le surnommaient affectueusement les amateurs anglophones du sport) venait de prendre son envol!
Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire. Personne au Québec ou ailleurs en Amérique du Nord qui s’intéresse le moindrement au hockey ne l’ignore : il fut le premier joueur de l’histoire à avoir connu six saisons d’affilée avec un compte d’au moins 50 buts, à avoir remporté cinq coupes Stanley grâce à sa virtuosité sur glace entre 1972 et 1979, à avoir été intronisé au Temple de la renommée du hockey, au Panthéon des sports canadiens, au Panthéon des sports du Québec, à l’American Academy of Achievement, à s’être vu décerné une interminable liste de trophées et 7 coupes Molson (seul Carey Price le devance avec 9 coupes), à avoir remporté le tournoi de la Coupe Canada en 1976, et j’en passe.
Illustration 105 – En septembre 2013, la ville de Thurso honorait son plus illustre citoyen en dévoilant, en face de l’hôtel de ville, une statue de bronze de 2,5 mètres, créée par l’artiste sculpteur Jean-Raymond Goyer, qui trône sur la place Guy Lafleur.
Sa ville natale a rebaptisé sa patinoire intérieure l’aréna Guy-Lafleur en 1990 et un magnifique bronze le représentant dans tout son élan d’hockeyeur agrémente la « Place Guy Lafleur », en face de l’hôtel de ville. L’équipe du Canadien a retiré le chandail numéro 10 qu’il arborait depuis ses débuts. Et honneur suprême, après son décès le 22 avril 2022, le gouvernement du Québec lui a offert des funérailles nationales et donné son nom à l’autoroute 50, qui traverse nos deux vallées.
Mais derrière le hockeyeur de légende se cachait un être humain au cœur d’or, un homme simple et disponible pour tous, affable, n’épargnant ni son temps ni ses efforts pour soutenir les diverses causes qui lui tenaient à cœur. Et il répondait toujours présent aux demandes des gens de sa région, la Petite-Nation, envers laquelle il est resté attaché toute sa vie.
Martin Van Den Borre, agent de développement agricole à la MRC Papineau, a une belle anecdote à raconter à ce propos. « Alors que j’étais directeur général de la Chambre de commerce Vallée-de-la-Petite-Nation, j’ai proposé pour notre AGA de 2010 qu’on nomme Guy Lafleur ambassadeur de la Petite-Nation, pour souligner son rôle non pas en tant que sportif, mais en tant qu’homme d’affaires. Je suis allé rencontrer sa mère Pierrette, à Thurso, pour en discuter. Elle avait les larmes aux yeux, c’était la première fois, m’a-t-elle dit, que sa région songeait à honorer officiellement son fils. »
Plutôt que d’offrir un énième trophée au joueur étoile, Martin demande à la mère de Guy ce qui lui ferait plaisir. « Il raffole des œuvres de l’aquarelliste Jean-Yves Guindon, c’est son peintre préféré, a-t-elle répondu. Il possède déjà plusieurs tableaux de Jean-Yves dans sa collection, car les paysages qu’il peint lui rappellent son enfance, sa région. » De concert avec l’artiste de Saint-André-Avellin, une œuvre est retenue pour être offerte au démon blond à la fin de l’assemblée générale de l’organisme, qui devait se tenir au golf de Stéphane Richer, à Montpellier.
Alors qu’on attendait l’invité de marque pour la partie plus « protocolaire » de l’AGA vers 11 h 30, Martin a eu la surprise de voir l’hélicoptère piloté par Lafleur lui-même se poser sur le vert du 2e trou alors qu’il était à peine 7 h 15. « Je suis accouru pour lui dire qu’il pouvait relaxer, il n’avait pas besoin de se présenter si tôt. Au contraire, m’a-t-il répondu, je veux assister à ton AGA, je veux rencontrer ton monde, participer à votre réunion, pas juste recevoir des hommages! »
Guy Lafleur s’est assis à la table d’accueil et a salué personnellement chacun des participants qui arrivaient à l’AGA. « Durant la rencontre elle-même, poursuit Martin, il a pris part aux discussions, posant des questions, faisant des interventions. Ce n’était pas pour épater la galerie, c’était senti. Guy, c’est ça, un antihéros, humble, proche de sa communauté. »
Illustration 106 – En 2010, la Chambre de commerce Vallée-de-la-Petite-Nation a honoré l’homme d’affaires qu’était devenu Guy Lafleur en le nommant « ambassadeur de la Petite-Nation ». À cette occasion, le directeur général de la Chambre de commerce, Martin Van Den Borre (à gauche) et son président, Carl Woodward (au centre), ont remis à M. Lafleur une aquarelle de l’artiste avellinois Jean-Yves Guindon, en présence de ce dernier (à droite). Photo archives Jean-Yves Guindon.
On pourrait croire qu’un talent de la trempe de Guy Lafleur, ça ne se présente qu’une fois dans l’existence d’une sous-région comme la nôtre. Les dieux de la rondelle semblent être de notre bord, car au moment même où le champion de Thurso entreprenait sa carrière dans la Ligue de hockey junior à l’âge de 16 ans, naissait à Ripon un autre bambin appelé à lui succéder comme surdoué du hockey.
Stéphane Richer, né en 1966, a rêvé de suivre les traces de son idole Guy dès qu’on lui a mis un bâton de hockey entre les mains. Et il a connu lui aussi une trajectoire météorique. Après avoir fait des flammèches dans ses premières équipes de hockey mineur et majeur, il fait partie de l’équipe canadienne qui remporte le Championnat mondial de hockey junior tenu en Finlande, en 1985. Il passe dans la cour des grands en 1984, à l’âge de 18 ans, en étant repêché par les Canadiens pour évoluer au sein de leur club-école, les Canadiens de Sherbrooke, dans la Ligue américaine de hockey. Cette année-là, l’équipe remporte sa seule coupe Calder.
Il enfile l’uniforme du CH pour la première fois en 1985, mais c’est surtout à partir de la saison 1986-1987 qu’il connaît ses années de gloire au sein de la formation. La saison suivante, il marque 50 buts, rééditant l’exploit de Guy Lafleur dans les années 1970. Et rebelote deux ans plus tard, avec une saison de 51 buts. À deux reprises, il brandit la coupe Stanley, d’abord en 1986, avec les Canadiens, puis en 1995, avec les Devils du New Jersey. Il accroche pour de bon ses patins en 2005, après une carrière bien remplie au sein de cinq équipes de la LNH.
Illustration 107 – À l’été 1995, les citoyens de Ripon ont accueilli en héros leur joueur vedette, Stéphane Richer, venu leur présenter la coupe Stanley remportée quelque mois plus tôt par son équipe des Devils du New Jersey. Photo Ghislain Sabourin, archives Comité du patrimoine de Ripon.
Être adulé par les foules, c’est une arme à double tranchant. La pression des fans et des commentateurs de tout acabit peut être impitoyable, et malgré les grands succès qu’il remportait, Stéphane a eu la force et le courage de parler des effets néfastes qu’une telle pression exerçait sur lui. Loin de se replier sur lui-même, il a parlé de ses crises d’anxiété, de ses périodes dépressives, voire de ses pensées suicidaires.
Et mettant en pratique les conseils de celui qu’il appelait « son parrain », Guy Lafleur, il a décidé de ne plus cacher ce côté sombre de la gloire, en donnant des conférences et causeries dans les écoles et les entreprises sur l’importance de prendre soin de soi et de sa santé mentale. Le plus grand moment de sa vie, a-t-il confié au journaliste Rodger Brulotte du Journal de Montréal, le 16 septembre 2023, ce ne fut pas l’obtention de ses coupes Stanley, mais l’hommage que lui avait rendu l’Hôpital juif de Montréal pour son engagement dans l’aide aux enfants souffrant de troubles de santé mentale[1].
[1] www.journaldemontreal.com/2023/09/16/jetais-pompiste-a-lage-de-9-ans
Illustration 108 – La preuve que le grand Stéphane Richer sait se mettre à la portée de ses petits fans? Il s’est prêté de bonne grâce au jeu de l’entrevue pour aider le jeune William Bullock, de Ripon, alors âgé de 10 ans, à rédiger son livre hommage La vie sportive de notre grand numéro 44 : Stéphane Richer. Ce bel ouvrage en couleurs relate la carrière de Stéphane, depuis la patinoire extérieure du village de Ripon jusqu’à la glace du Forum de Montréal et au-delà. Stéphane était venu encourager le jeune auteur lors du lancement de son livre au centre communautaire de Ripon en octobre 2020. Photo Karine Dambremont.
« Guy et Stéphane ont contribué à mettre la Petite-Nation sur la carte, pas juste du Québec, mais de tout le continent nord-américain, ajoute Martin Van Den Borre. Il m’arrive que des Américains rencontrés dans le cadre de mon travail à la MRC s’exclament, lorsque je mentionne Thurso, ‘oh yes, Flower’s village’, ou encore qu’un autre du Québec, en entendant évoquer le village de Ripon, s’écrie ‘bien sûr, le patelin de Stéphane!’ »
Surtout, Martin salue chez ces deux grands sportifs le type de « masculinité positive » qu’ils ont su promouvoir, en acceptant d’afficher leur vulnérabilité, en contrepoids à leur immense talent de sportif. « En parlant de problèmes liés au vieillissement, comme l’a fait Guy à propos de la dysfonction érectile, de la perte de cheveux ou du cancer, ou des enjeux liés au stress et à l’anxiété qu’a abordés Stéphane, tous deux ont démontré que les héros ne sont pas des surhommes, mais des êtres ayant des failles comme n’importe qui. »
Illustration 109 – Le chandail numéro 10 qu’arborait Guy Lafleur continue d’être vénéré, parfois dans les lieux les plus inusités comme ici dans le salon Sacré-Cœur Barbier de la rue Beaubien, à Montréal. Photo Marthe Lemery.
De Louis à Guy à Stéphane, le flambeau se passe d’une génération à l’autre! Celui qui incarne les plus vibrants espoirs de revoir un joueur de la Petite-Nation évoluer dans la « grande ligue », c’est le jeune attaquant centre Xavier Simoneau, de Saint-André-Avellin. Âgé de 23 ans, Xavier a été repêché par le Canadien de Montréal en 2022 et il joue présentement avec le Rocket de Laval, le club-école des Canadiens, en vertu d’un contrat de deux ans qui se terminera au printemps 2025. Avant d’atteindre les professionnels, Xavier avait fait des flammèches au sein du hockey junior majeur avec les Voltigeurs de Drummondville. Affligé plus récemment par quelques blessures, disons qu’il bataille fort pour se tailler une place au sein de l’équipe ayant consacré ses idoles, Guy et Stéphane. On le lui souhaite!
Illustration 110 – Xavier Simoneau, de Saint-André-Avellin, représente actuellement notre plus grand espoir de voir un hockeyeur de la MRC évoluer sur la glace d’une équipe de la LNH. Photo Martin Chevalier, Journal de Montréal.
Si l’on prend un peu de recul dans le temps pour remonter à la fondation de notre seigneurie, il y a 350 ans, alors on peut dire que notre « petite nation » englobait tout le territoire occupé par la grande famille des Anishinabés. Et selon cette définition plus large de notre région, il devient justifié d’ajouter à notre liste de glorieux hockeyeurs Wayne « Gino » Odjick, qui fut aux Canucks de Vancouver ce que Guy et Stéphane furent aux Canadiens de Montréal. Un héros acclamé dans les gradins!
Membre de la Première Nation anishnabée, né sur la réserve de Kitigan Zibi à Maniwaki en 1970, Gino était un géant, considéré comme « l’homme fort de la LNH » alors qu’il évoluait pour les Canucks entre 1990 et 1998. Il a aussi joué pour le CH de Montréal entre 2000 et 2002. Décédé prématurément le 15 janvier 2023 à Vancouver des suites d’une rare maladie cardiaque incurable, Gino a pris exemple sur son ami Guy Lafleur pour mettre sa célébrité au service d’une cause, celle de la jeunesse autochtone, qui voyait en lui un modèle à suivre.
Trilingue – il parlait français, anglais et algonquin –, Gino a multiplié les conférences de motivation auprès des enfants et adolescents des Premières Nations après avoir pris sa retraite de la LNH, réclamant pour ces derniers une éducation qui respecte et mette en valeur leur culture ancestrale. Dans les 4 équipes au sein desquelles il a évolué, il a toujours réclamé de porter le chandail de hockey no 29, soit le numéro qu’avait reçu son père au pensionnat indien. En son honneur, la ville de Maniwaki a rebaptisé son aréna Le Centre Gino Odjick, en 2014.
Illustration 111 – Né sur la réserve de Kitigan Zibi, Odjick a été un joueur qui utilisait sa force et sa carrure pour permettre à ses coéquipiers de compter des buts. Il a récolté 137 points, dont 64 buts, au cours de sa carrière au sein de l’équipe vancouvéroise de la LNH. Photo Darryl Dyck, La Presse canadienne.