Au fil de l’histoire – Nos gens
Par Marie Josée Bourgeois
Collaboration à la recherche Marthe Lemery
25 septembre 2024
« Chaque cimetière a ses particularités. Avec l’église, c’est le foyer de l’histoire d’un village. Il constitue un lieu patrimonial chargé culturellement et symboliquement. » Raymond Ouimet
Ces paroles de l’écrivain gatinois sont bien à propos quand on pense au cimetière de Duhamel qui nous plonge au cœur d’une œuvre littéraire, celle de Michel Tremblay.
Situé près de la rivière de la Petite Nation et du lac Gagnon, le cimetière nous mène tout droit dans l’histoire de Rose et l’Indien, deux des personnages dans son livre La Traversée des sentiments (2009). L’action se situe en 1915 alors que Rose reçoit en vacances ses cousines Desrosiers, trois sœurs de Montréal, Maria, Ernestine dite Teena et Réona dite Tititte. C’est l’heure des retrouvailles avec la cousine Rose Desrosiers et son mari Simon, dit « l’Indien » dans « la maison suspendue ». Démolie en 2018, cette maison s’élevait près du crique à Aurel, à l’ombre des épinettes et des sapins sur le chemin du lac Gagnon à Duhamel.
Illustration 82 – Dans la vraie vie, celui qui a inspiré le personnage de Simon l’Indien, c’est Olivier Simon, un arrière-petit-fils de Simon Kanawato, ce dernier étant le premier Algonquin à s’établir sur le lac Simon auquel il a donné son nom. Olivier a épousé Rosana Carrière, veuve de Rhéau Desrosiers, le frère des sœurs Desrosiers et le grand-oncle de Michel Tremblay. Leur pierre tombale se trouve au cimetière de Duhamel. Photo Marie Josée Bourgeois.
Michel Tremblay, né à Montréal en 1942, racontait récemment en parlant de Duhamel : « C’est la seule campagne que j’ai connue quand j’étais petit. La première fois que j’y suis allé, j’avais peut-être 10-12 ans – je n’étais jamais sorti de la ville de ma vie. Ma tante Teena avait une maison de campagne qui est celle que je décris à Duhamel. »
Comme aime le dire David Pharand, maire de Duhamel, une fois franchies les limites de Saint-André-Avellin, « vous arrivez au cœur de la Nation ». Vous êtes au pays des descendants des Premières Nations comme les Simon, les Tanascon et bien d’autres de la grande famille des Algonquins. Vous avez traversé, du sud en montant vers le nord, l’ancienne seigneurie de la Petite-Nation et l’ancien canton de Preston en parcourant la 321 de Papineauville à Duhamel, d’un bout à l’autre de la MRC de Papineau. Ainsi se déroulait le trajet de la famille de Michel Tremblay quand elle venait visiter Ernestine, qui occupait depuis 1939 l’ancienne maison de Rose et Simon.
Illustrations 83a et 83b – La « maison suspendue » à Duhamel, achetée par Ernestine (Teena) Desrosiers (1887-1975) à Duhamel vers 1940. C’est elle que l’on voit à l’intérieur de la maison. Photo Coll. Michel Tremblay.
Étonnamment, il y a longtemps que Michel Tremblay arpente les lieux que fréquentaient les familles Papineau et Bourassa. En effet, au milieu des années 1960, le restaurant Le Sélect, coin Saint-Denis et Sainte-Catherine à Montréal, était l’endroit de prédilection où Tremblay, le metteur en scène André Brassard et leurs amis se retrouvaient après une sortie au théâtre. L’emplacement de ce restaurant était au cœur du Montréal de l’époque des Papineau et des Bourassa.
Illustration 84 – Photo parue dans le groupe Facebook « Photos de Montréal et scènes de vie urbaine 19e et 20e siècle » montrant le restaurant Le Sélect, coin Saint-Denis et Sainte-Catherine à Montréal, où le jeune dramaturge Tremblay et ses amis se rencontraient.
Au XIXe siècle, Joseph Papineau, son fils Louis-Joseph et son petit-fils Amédée ainsi que Napoléon Bourassa et son fils Henri ont tous circulé sur la rue Saint-Denis. D’abord Joseph et Louis-Joseph alors qu´ils habitaient la maison ancestrale des Papineau sur la rue Bonsecours dans le Vieux-Montréal, plus ou moins de 1809 à 1850. Plus tard, Henri Bourassa (1868-1952), petit-fils de Louis-Joseph par sa mère Azélie, qui fut maire de Montebello et de Papineauville et député de Labelle, passera une bonne partie de sa jeunesse entre la résidence de Montebello et l’immeuble familial du 1242 de la rue Saint-Denis, de biais avec l’emplacement du futur restaurant Sélect. Se situe également tout près, sur la rue Sainte-Catherine à l’angle de la rue Berri, la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes dessinée par Napoléon Bourassa.
Incroyable quand même que ces deux mondes se superposent à Montréal et à Duhamel, celui de l’histoire au temps des seigneuries et des cantons et celui de la littérature et du théâtre contemporains.
Illustration 85 – Photo de l’immeuble Le Franco-Américain, situé au 1242 rue Saint-Denis, construit en 1879 pour abriter la famille de Napoléon Bourassa (1827-1916), alors veuf d’Azélie Papineau (1834-1869). Le linteau est orné d’un groupe sculpté où l’on remarque notamment le masque de Louis-Joseph Papineau. Photo tirée du blogue de Martin Bérubé, Propos Montréal, 1er novembre 2015.
Dans la région, on n’oublie pas Michel Tremblay. Qui n’a pas vu une représentation ou des extraits des Belles-Soeurs, la pièce ou sa comédie musicale dérivée, interprétée par une troupe de théâtre amateur ou une chorale sur la scène d’un centre communautaire ou d’une école de notre région? Tout récemment, dans le cadre du spectacle Mixamis, les « Rock’n nonnes » défroquées présentaient « l’Ode au bingo », extrait de la comédie musicale d’après la pièce Les Belles-Soeurs de Tremblay, devant près de 200 personnes réunies au centre communautaire de Montebello. Et lors des Journées de la culture 2024, le Centre d’action culturelle de la MRC Papineau a proposé aussi « l’Ode au bingo » à Montebello, cette fois-ci la scène extraite de la pièce, suivie d’un véritable bingo.
Illustration 86 – Le 18 août 2024, les Rock’n nonnes ont présenté « l’Ode au bingo » au centre communautaire dans l’ancienne église de Montebello, bâtie en 1894 d’après les plans de Napoléon Bourassa. Photo Marie Josée Bourgeois.
En raison des liens entre Duhamel et le dramaturge-écrivain, il allait de soi que la bibliothèque de Duhamel rassemble une collection de ses livres, dont plusieurs rendent hommage aux gens et à la nature d’ici. En 2022, la municipalité de Duhamel a baptisé sa bibliothèque du nom de Victoire, titre d’un livre et nom d’un personnage central de son œuvre, « la genèse de la genèse de tout ce que j’ai écrit », dira Michel Tremblay. Victoire est ce personnage qui a le plus de liens avec Duhamel. Dans l’imaginaire de l’auteur, elle personnifie sa grand-mère paternelle, qui vivra à Duhamel une partie de son enfance et de sa vie adulte et y donnera naissance à deux enfants. « En plus, c’est une belle victoire pour les livres! » expliquera-t-il.
Il est intéressant de souligner que c’est à Duhamel que Michel Tremblay fusionnera fictivement ses deux branches familiales, à travers les personnages de Victoire (sa lignée paternelle) et des sœurs Desrosiers (sa lignée maternelle), car c’est la seule campagne qu’il connaissait.
Illustration 87 – Le 7 mai 2022, Michel Tremblay était présent à Duhamel pour l’attribution du nom à la bibliothèque municipale, Victoire, nom qu’il a lui-même suggéré. On le voit devant le panneau représentant « la maison suspendue » conçu par le bédéiste avellinois, Christian Quesnel. Photo Marie Josée Bourgeois.
Quelle coïncidence et quelle chance nous avons que Michel Tremblay ait un tel lien affectif avec Duhamel, et que sa région serve de toile de fond à plusieurs de ses écrits. Son immense contribution à la culture québécoise en tant qu’écrivain et dramaturge, qui a eu un retentissement sur toutes les scènes, aussi bien nationales qu’internationales, a permis de mettre en lumière Duhamel et notre territoire. Non seulement Michel Tremblay est le chantre du Plateau Mont-Royal à Montréal mais il est également celui de Duhamel et de la forêt laurentienne. Il laisse dans ses écrits des pages entières évoquant une époque révolue et des descriptions de paysages qu’on peut toujours admirer. Il nous lègue ainsi un patrimoine social et paysager qui témoigne de façons de vivre et de faire et il donne une voix à une société du fond des bois nourrie de légendes et de grands sentiments.