Au fil de l’histoire – Des lieux, des gens
Rédaction Marthe Lemery
1er août 2024
La MRC de Papineau est choyée. Partout sur son territoire coulent ces chemins d’eau, ou, pour reprendre l’expression imagée de nos Premières Nations, les « chemins qui marchent ». Grandes et petites rivières qui filent avec vivacité ou serpentent avec nonchalance au milieu des bois et des prés, elles déversent leurs eaux du nord au sud, empruntant mille méandres, semant ici et là une multitude de ruisseaux et de lacs.
Celle qui a gardé un peu de la majesté de sa mer natale, c’est la rivière des Outaouais, qui marque sur une quarantaine de kilomètres la frontière sud de notre MRC. Il s’agit de la plus longue rivière du Québec et le principal affluent du Saint-Laurent. Elle s’élance sur 1271 km depuis le lac Kapemitchigama, dans les Laurentides, à quelque 290 km au nord-ouest de Montréal, avant de venir mêler ses eaux à celles des rivières des Prairies, des Mille Îles et du lac Saint-Louis pour aller ensuite rejoindre le Saint-Laurent. Les deux tiers de son trajet se font au Québec, le reste en Ontario.
Elle a joué, avec le Saint-Laurent, un rôle de premier plan dans le peuplement et l’histoire du continent nord-américain. Grâce à elle, les premiers peuples de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs y ont établi, il y a plus de 6 000 ans, de vastes réseaux d’échanges entre diverses tribus. Après les premiers contacts avec les Européens, ce sera au tour des explorateurs, voyageurs et coureurs des bois de se frayer des passages au nord vers la baie d’Hudson et à l’ouest vers les Grands Lacs. Elle sera un puissant levier de développement économique, soutenant le commerce des pelleteries, durant l’époque de la Nouvelle-France, puis celui du bois, à l’époque des Papineau.
Illustration 59 – Samuel de Champlain fait graver en France en 1632 une carte de son trajet réalisé en 1616 sur la « rivière des Algommequins », sur laquelle il indique à l’aide de chiffres, certains sites visités, des saults (rapides) importants ou des campements indiens. Par Samuel de Champlain —Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1536041
L’hydronyme (nom d’un cours d’eau) de notre grande rivière rappelle la Première Nation des Odawas, ou Odaawaa ou Outaouaks, ce qui donnera en français Outaouais, une tribu originaire de l’île Manitoulin, dans le lac Huron. Ces commerçants autochtones canotaient la rivière pour venir faire la traite des fourrures avec les Français à l’est de leur territoire. Eux appelaient la rivière Kitchissippi, signifiant en langue algonquienne, la Grande rivière. Les coureurs des bois l’appelaient également la « rivière du Nord », puisqu’elle les menait « aux pays d’en haut », soit ces régions riches en petit gibier à la tête des Grands Lacs.
Illustration 60 – La portion de rivière des Outaouais située en sol québécois a été gratifiée du titre officiel de lieu historique par le gouvernement du Québec, en 2017. Photo Caroline Jacques (2007) Creative Commons. Site Répertoire du patrimoine culturel du Québec
Après l’Outaouais, c’est la rivière du Lièvre qui est la plus longue avec 330 km, coulant du nord au sud depuis le lac Orthès, dans la MRC d’Antoine-Labelle, pour venir épouser les eaux de la rivière Outaouais à la hauteur de Masson. Grande rivière sinueuse, il n’y a que 7 % de son bassin versant qui se situe dans notre MRC, alors qu’elle borde nos municipalités de Val-des-Bois, Bowman et Notre-Dame-de-la-Salette.
Illustration 61 – Longtemps monopolisée par les compagnies forestières pour charroyer la « pitoune » des chantiers du nord jusqu’aux usines de Masson-Gatineau, la rivière a retrouvé ses eaux libres et sert maintenant aux adeptes de canot et de kayak. Photo Tourisme Hautes-Laurentides.
Les Attikameks et les Weskarinis, établis respectivement au nord et au sud de son bassin versant, l’appelaient Wabos Sipi, wabos désignant le lièvre. Sans doute pour honorer Michabou, le grand lièvre créateur du monde dans la mythologie algonquienne. C’est lui qui envoie la loutre plonger dans les profondeurs marines pour en rapporter le grain de sable à partir duquel la terre sera façonnée. Mais on a également trouvé comme toponyme autochtone Okai Sipi, signifiant rivière aux dorés (lesquels sont des trophées de pêche convoités dans ses eaux!)
En français, on l’appelle officiellement la rivière du Lièvre, mais tous disent la Lièvre, plus simplement. La plus ancienne mention de son nom français remonte à 1686, dans le récit de voyage vers la baie James qu’a fait le capitaine de marine et explorateur Pierre de Troyes, accompagné des trois frères Le Moyne (dont le bien connu Pierre Le Moyne d’Iberville). Bien avant lui, Champlain l’évoque en 1613 sans la nommer, et les premiers Blancs à s’y aventurer en canot furent Étienne Brûlé et Nicolas du Vigneau.
Au Québec, la Lièvre détient un sinistre record, celui d’avoir entraîné l’éboulement le plus meurtrier de la province. Ses rives reposent en effet sur des couches argileuses, déposées par la mer de Champlain, qui ont la particularité d’être particulièrement instables. Au matin du 26 avril 1908, un glissement de terrain de grande ampleur se produit à la hauteur du village de Notre-Dame-de-la-Salette et du hameau de Poupore, au sud de celui-ci. Des maisons et divers autres bâtiments sont emportés par une coulée de glaise qui fera 34 victimes, dont plusieurs enfants. Les corps de dix des personnes emportées ce matin-là ne seront jamais retrouvés.
Illustration 62 – Catastrophe sans précédent, 34 personnes trouvent la mort dans un glissement de terrain et éboulis sur les rives de la rivière du Lièvre à Notre-Dame-de-la-Salette et dans le hameau de Poupore, en avril 1908. Archives photographiques, BAnQ Gatineau, Fonds James Maclaren Company, (07H,P117,S100,SS102,D30), Rodolphe Léger.
Coulant sur 144 km au milieu d’une longue vallée avant de venir épouser les eaux de l’Outaouais dans le Parc national de Plaisance, la rivière de la Petite Nation serpente à travers 27 lacs, donc certains sont des lieux de villégiature fréquentés depuis belle lurette, les lacs Gagnon, Simon, Barrière, Grosleau et Simonet. Parfois nommée rivière Chaudière au début de la colonie française, elle traverse les municipalités de Duhamel, Lac-Simon, Montpellier, Chénéville, Ripon, Saint-André-Avellin, Notre-Dame-de-Bonsecours, Papineauville et Plaisance, en passant par d’anciens hameaux de la seigneurie aux noms évocateurs : Côte-Saint-Pierre, Lac-Grosleau, Saint-Amédée, Portage-de-la-Nation.
Illustration 63 – La Petite Nation a des eaux folichonnes, qui s’épivardent à travers de nombreux sauts, rapides et cascades, comme ici aux Chutes à Joubert, situées à Ripon. Photo P199, Creative Commons CC BY-SA 3.0.
Depuis sa source dans le lac Raymond, au nord de la réserve faunique Papineau-Labelle, elle dévale son lit du nord au sud, en bondissant sur de nombreux rapides, ce qui en fait une rivière idéale pour les sports en eaux vives. À 9 km de son embouchure, elle se paie même le luxe d’une haute cascade bouillonnante, les chutes de Plaisance, hautes de 63 mètres, qui ont jadis été harnachées par Joseph Papineau pour en faire un moulin à scie, au début de sa seigneurie. Ce moulin passera aux mains de divers exploitants forestiers jusqu’à ce que W.C. Edwards, de Rockland, y instaure un « village de compagnie », North Nation Mills, qui comptera jusqu’à 300 habitants.
Illustration 64 – Joseph et Louis-Joseph Papineau ont érigé deux moulins à scie sur les chutes de Plaisance, avant que le lieu ne soit repris par divers exploitants forestiers, dont la Edwards Company, de Rockland, qui y a établi le village North Nation Mills, dont il ne reste aujourd’hui que des vestiges. Photo site Patrimoine et Chutes de Plaisance
Avec sa voisine, la rivière du Lièvre, elle se situait au cœur du territoire de chasse qu’arpentaient durant l’hiver les Weskarinis, les premiers habitants de notre MRC, lesquels enfilaient le chapelet de lacs et des sentiers de portage afin de contourner les chutes et rapides en route vers la région du lac Nominingue, dans les Hautes-Laurentides. Même si on ignore encore précisément où se situaient ces portages, on peut présumer que plusieurs des sentiers de marche qui font la joie de nos amateurs de plein air étaient d’anciennes pistes de portage.