Au fil de l’histoire – Des lieux, des gens
Rédaction Marie Josée Bourgeois
Collaboration à la recherche Marthe Lemery
15 juillet 2024
Alors qu’il vit à Québec, les écrits que publie Champlain en 1613 et 1619 sortent sur les presses parisiennes ainsi que les Relations des Jésuites, rapports rédigés par les missionnaires résidant ici entre 1632 et 1672. Voici ce que Champlain raconte en 1613 qui nous touche de près et que nous aimons citer : « […] continuant notre route en amont de la dite rivière [des Outaouais], en trouvâmes une autre fort belle et spacieuse, qui vient d’une nation appelée Oueskarini, laquelle se tient au nord d’elle, et à 4 journées de l’entrée. Cette rivière [des Outaouais] est fort plaisante, à cause de belles îles qu’elle contient et des terres garnies de beaux bois clairs qui la bordent; et la terre est bonne pour le labourage. » (transcrit en langage familier)
Illustration 53 – Le plan de la ville de Québec exécuté en 1663. Source : Wikicommons.
Ces publications sont révélatrices des événements qui surviennent dans la colonie et de l’admiration de ceux qui la parcourent. Parallèlement, ces récits sont une forme de propagande destinée à recruter des colons, des vocations et surtout, des appuis financiers au développement de la petite colonie, qui compte à peine 60 habitants en 1620.
Champlain n’est pas le premier, ni le seul à faire rapport aux rois de France – de François 1er à Louis XV – sur la situation de la colonie. D’autres l’ont fait déjà dont Jacques Cartier (1491-1557) pour ne nommer que lui, qui s’est promené sur le fleuve Saint-Laurent de Gaspé à Lachine entre 1534 et 1542 et qui se rend au sommet du mont Royal en octobre 1535.
Tout comme l’Angleterre, la Hollande, le Portugal et l’Espagne, la France cherche à étendre son influence dans le monde et à favoriser les alliances et les traités. Champlain sera cependant le premier explorateur français à souligner l’importance d’occuper en Nouvelle-France les territoires établis qu’il explorera jusqu’aux Grands Lacs. Lui-même s’enracinera à Québec où il vivra jusqu’à sa mort en 1635. Il sera plus tard reconnu comme le Père de la Nouvelle-France.
En ces temps de colonisation, le but des communications vers la mère patrie n’était pas d’attirer des touristes. En 1662, la seigneurie de la Petite-Nation n’était qu’un projet. Nous sommes encore à l’époque de la découverte du Nouveau Monde, non à l’ère d’accueillir des touristes. Et pourtant, il en viendra un, il est Normand et il a vingt ans.
Monsieur Asseline de Ronval (on ignore son prénom) quitte Dieppe en Normandie sur le Saint-Pierre le 22 mai 1662 et retournera en France à l’automne sur le même navire. Lors de son séjour de près de six mois, il visitera quatre villes, la côte de Beaupré et les chutes Montmorency. C’est tout ce qu’il y a à voir ou presque… Bien sûr, il lui fallait être prudent dans ses randonnées! Si on se fie à nos livres d’histoire du Canada des années 1950, « un Iroquois se cachait derrière chaque arbre ».
Illustration 54 – Le récit des voyages de Champlain écrit par lui-même. Découvrez l’Amérique du Nord telle qu’elle lui est apparue entre 1603 et 1619 et la Petite-Nation en 1613.
À son retour en France, Asseline de Ronval publie un récit de 400 pages sur son voyage. Il y raconte ses aventures exotiques auprès des Amérindiens et ses séjours en auberge ou chez l’habitant. Il parle de Tadoussac mentionnant « une chapelle, quelques maisons et deux moulins à l’eau […] en désordre », de Québec (qui compte 2 000 habitants en 1662) où il réside chez l’aubergiste Jean Gloria, ensuite de Trois-Rivières (400 habitants) qu’il décrit comme « le pays le plus beau et le meilleur que l’on puisse souhaiter ». On croirait entendre Jean Chrétien, notre ancien premier ministre!
Il complétera son séjour par une visite de plusieurs semaines à Montréal (500 habitants) où il est hébergé par le célèbre Charles Lemoyne (1626-1685), père des explorateurs d’Iberville. Son récit sera le best–seller de 1664! Pas si mal pour un jeune de vingt ans, qui fut, en pratique, notre premier touriste!
Illustration 55 – L’abbé Armand Yon a été le premier à parler, dans un article publié en 1974, du « premier touriste » en Nouvelle-France, Asseline de Ronval. On peut y trouver des extraits du compte-rendu qu’Asseline de Ronval a fait de son voyage, de mai à octobre 1662. Selon l’abbé Yon, Asseline est né vers 1642 et décédé après 1694. Il n’est jamais revenu en Nouvelle-France. (Source Yon, A. (1974). Notre premier touriste en Nouvelle-France : Asseline de Ronval [1662]. Les Cahiers des dix, (39), 146–170. https://doi.org/10.7202/1025320ar
À la même période, soit le 17 juillet 1662, Pierre Boucher (1622-1717), gouverneur de Trois-Rivières de 1662 à 1668, quitte La Rochelle sur l’Aigle d’Or avec le mandat de rédiger un rapport pour le roi Louis XIV sur la situation en Nouvelle-France. Par sa présence de quelque huit mois à Paris au milieu des personnes les plus influentes du royaume, il avait suscité beaucoup de curiosité, d’intérêt et de sympathie envers la colonie. Ce rapport, sorti deux ans plus tard à Paris, – soit la même année que notre touriste – intensifiera l’intérêt à l’endroit de la Nouvelle-France. Selon le biographe Raymond Douville, il constitue une « propagande intelligente, sincère, rationnelle, qui vient appuyer, sur le plan humain et économique, ce qu’on sait déjà de ce pays par les Relations des Jésuites. »
C’est dans cet ouvrage de 1664 que Pierre Boucher décrit la Petite-Nation qu’il a vue en naviguant sur la rivière des Outaouais entre 1637 et 1641 alors qu’il travaillait comme aide-missionnaire en Huronie [autour de la baie Georgienne] pour y apprendre les langues et les mœurs autochtones: « Car il y a de très beaux Pays, et qui mériteraient bien d’être habités : mais surtout un endroit appelé la petite Nation […] qui contient presque vingt lieues de pays le long du fleuve [rivière des Outaouais], le plus beau pays qui se puisse voir pour un Pays non-habité […]. C’est un beau bois rempli de petits lacs et de prairies, avec un fort grand nombre de petites rivières : tout cela si plein de chasse et de pêche, qu’il n’est pas croyable : mais ce qui est le plus admirable, c’est le grand nombre de bêtes fauves qui s’y rencontre […] de vrais Cerfs, des Ours, Élans, Castors, Loutres, Rats musqués, et plusieurs autres sortes d’animaux. »
Illustration 56 – Par les vents, par l’orage, le navire l’Aigle d’Or sur lequel voyageait Pierre Boucher en 1662 prendra trois mois à traverser l’Atlantique. Parti de La Rochelle à la mi-juillet, il atteindra Québec en octobre seulement. Moins chanceux qu’Asseline de Ronval qui fit la traversée jusqu’à Tadoussac en un mois.
Ces récits de voyage remplissent bien leur rôle de documentaires. Ils sont notre première source de renseignements tant sur la mentalité de l’époque que sur les événements. Par ailleurs, ils jouent également un rôle culturel en donnant un aperçu authentique des explorations et en abordant des thèmes comme la vie nomade dans les grands espaces. De quoi faire rêver! Du marketing, des relations publiques et des communications à la sauce du XVIIe siècle, bien avant l’heure du tourisme de masse!
Illustration 57 – Comme Champlain, Pierre Boucher a cru en la possibilité de créer un peuple nouveau grâce au mariage de Français et d’Amérindiennes. D’ailleurs, sa première épouse, Marie Ouebadinskoue était une Huronne. Elle est décédée en 1649 lors de son premier accouchement. Il s’est remarié à Jeanne Crevier en 1652, une compatriote dont il a eu 15 enfants.