Au fil de l’histoire – Des lieux, des gens
Rédaction Marie Josée Bourgeois
19 juin 2024
Victor Nymark, maître bâtisseur de formation, a laissé sa marque à Montebello en jouant un rôle dans la construction du Fairmont Le Château Montebello et de ses dépendances ainsi que de plusieurs maisons du mont Westcott.
On lui doit également le choix de motifs décoratifs peints ou sculptés inspirés de mouvements artistiques et stylistiques de la Carélie, une région de son pays natal, la Finlande. Vous en verrez les détails dans le hall d’entrée de l’hôtel, dans la grande salle à manger, à la mezzanine et dans la salle de bal, pour ne citer que quelques endroits
Illustration 38 – Victor Nymark, alors qu’il était membre fondateur de la Chambre de commerce de Saint-Sauveur, vers la fin des années 1950. Archives familiales.
Né sur une ferme en février 1901 à Kvevlax en Finlande, Victor Nymark a grandi dans une famille de huit enfants. Il est adolescent durant la Première Guerre mondiale, période fort instable pour la Finlande qui vivra également une guerre civile de janvier à mai 1918.
Après la guerre, Victor reprend ses études et s’inscrit à l’École industrielle de Vaasa. Il terminera en 1923 avec un diplôme de maître-bâtisseur, tout en gérant un magasin général non loin de son village natal. Il construira lui-même l’édifice qui abritera son commerce à partir d’une vieille manufacture en pièce sur pièce qu’on allait démolir et qu’il a récupéré. Ainsi il apprendra, à l’école et sur le tas, les techniques de construction scandinaves et russes qui lui serviront plus tard.
Après avoir complété son service militaire obligatoire, Victor décide de quitter son pays à la recherche d’une vie meilleure. Il arrive au Canada en mai 1924 sur le paquebot SS Doric avec 25 $ en poche et un CV traduit en anglais, car bien que polyglotte (suédois, finnois, un peu d’allemand, russe et polonais aussi), il ne parle alors ni anglais ni français. Mais cela lui viendra rapidement. Il travaillera dans le domaine de la construction à Montréal, à Alma (plus précisément dans l’ancienne municipalité d’Isle-Maligne) et à Arvida, puis il s’installe à Saint-Sauveur à l’automne 1928 où il construit des maisons avec une petite équipe qu’il a formée.
C’est alors que Victor décide de se spécialiser dans la construction de maisons de grande dimension en bois rond, sachant qu’il n’aurait pas de compétiteur parmi les entreprises de construction laurentiennes. Il sait également que ce genre d’habitation ne convient pas à toutes les bourses, et qu’il lui faudra décrocher des contrats auprès des millionnaires de l’époque. Il en trouvera, tous des gens d’influence dans les coulisses des grandes entreprises de Montréal. Son œuvre la plus connue à l’époque est Saran Chai, une habitation bâtie en 1929 à Val-David pour John Wilson McConnell (1877-1963), propriétaire du Montreal Star, membre du Conseil des gouverneurs de l’université McGill et du conseil d’administration du Canadian Pacific Railway (CPR). Parmi les illustres visiteurs à cette résidence de prestige, citons entre autres, le roi de Siam (devenue la Thaïlande) en 1933, Rama VII, qui lui a suggéré le nom Saran Chai — signifiant bonheur serein — ainsi que la princesse Elizabeth et son mari le prince Philip à l’occasion de leur visite au Canada en 1951. L’année suivante, Saran Chai était malheureusement la proie des flammes.
Illustration 39 – Hall d’entrée du Fairmont Le Château Montebello, affichant les motifs décoratifs propres à la Carélie, une région de la Finlande. L’encart est un dessin original de Victor Nymark, alors qu’il étudiait à l’École industrielle de Vaasa. Photo Marie-France Bertrand, 2021.
Au début des années 1930, Nymark apprend que le CPR s’apprête à construire le futur Seigniory Club; il se fait embaucher comme fustier (ouvrier spécialisé dans la construction en bois rond) et arrive sur le chantier à Montebello en mars 1930. Maîtrisant bien les techniques de telles constructions érigées sur un socle en pierre et avec ses talents de polyglotte, il peut former et superviser des travailleurs, dont plusieurs sont originaires du nord de l’Europe et de la Scandinavie. Il deviendra rapidement indispensable au directeur des travaux de construction, l’ingénieur Harold Landry Fürst et à l’architecte Harold Lawson, de la firme montréalaise Lawson & Little.
Fürst et Nymark planifiaient les activités hebdomadaires du chantier une semaine à l’avance et, plus surprenant encore, distribuaient les plans d’exécution au fur et à mesure que les travaux avançaient. La main-d’œuvre était tout entière tendue dans un immense effort humain, dont l’accent était mis sur le rythme collectif de travail dans une ambiance d’entraide, de respect et d’admiration. Cette complexe symphonie interprétée par les quelque 3 000 ouvriers du chantier, qui mettront trois mois à réaliser leur œuvre, aurait été passionnante à observer!
Illustration 40 – Nymark a bâti ce manoir rustique baptisé éventuellement Saran Chai à Val-David, sur les bords du lac de Gore, d’après les plans de l’architecte norvégien Karen Smythe. Extrait de la revue de décoration Town and Country, parution du 1er juin 1933. Archives de la Société d’histoire et du patrimoine de Val-David.
Par après, Victor Nymark s’est illustré dans les Laurentides en bâtissant une quarantaine de constructions en bois rond, certaines très connues comme le Nymark Lodge, à Saint-Sauveur (1934, aujourd’hui disparu), le Alpine Inn à Sainte-Adèle (1939), l’église anglicane Saint-Francis of the Birds (1951) à Saint-Sauveur et le Mont-Tremblant Lodge (1938), à Tremblant. Fervent skieur de descente et de fond participant à diverses compétitions, il fut entrepreneur dans des domaines connexes au ski, dont le tourisme et l’hôtellerie.
Illustration 41 – Vaste chantier, la construction du Château Montebello s’est déroulée sur trois mois à peine, un véritable prodige. Archives familiales.
Dans les Laurentides, son nom est très présent dans la toponymie, soit le chemin Nymark, le lac à Nymark et la montée Victor-Nymark à Saint-Sauveur, et la rue Nymark à Sainte-Adèle. En 1983, Victor Nymark est intronisé au Temple de la renommée du ski des Laurentides à titre de développeur du ski et d’infrastructures dans cette région.
En 2021, les Brasseurs de Montebello lui ont consacré une bière blonde légèrement vanillée, la Victor Nymark, en collaboration avec le Fairmont Le Château Montebello. Plus récemment, son nom revient à la surface, cette fois directement au Fairmont Le Château Montebello qui vient de nommer son nouveau restaurant Nymark, soulignant par le fait même le 100e anniversaire de son arrivée au Canada.
Illustration 42 – L’église anglicane Saint-Francis of the Birds construite par Nymark est située au coin des rues Saint-Denis et Saint-François, à Saint-Sauveur, devant la maison familiale des Nymark.
Victor Nymark est décédé en 1988 et il est enterré dans le cimetière anglican Saint-Francis of the Birds de Saint-Sauveur auprès de son épouse Lydia Greening (1904-1964), une mandoliniste d’origine germano-polonaise, qu’il a épousée à Philadelphie en 1932 et dont il a eu 3 enfants, Birger qui habite les Laurentides, Walter et une fille Lois, qui vivent en Ontario.
Illustration 43 – Une des dernières photos que nous avons de Victor Nymark, prise en 1978. Archives familiales.