Au fil de l’histoire – Des lieux, des gens
Rédaction Marthe Lemery
26 avril 2024
Commençons par déboulonner un mythe qui a la vie dure : la seigneurie de la Petite-Nation ne commence pas avec les Papineau. Que nenni!
En 1801, lorsque Joseph Papineau, père du député et illustre patriote Louis-Joseph, devient propriétaire d’un territoire sur les bords de la rivière Outaouais correspondant à la partie ouest de la seigneurie de la Petite-Nation, celle-ci existe depuis déjà 127 ans!
C’est dire si beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts depuis l’avènement de « notre » seigneurie! Et pourtant, celle-ci était restée tout ce temps comme en dormance, sur la rive nord de la « grande rivière des Algonquins », la Kitchi Sipi, autrement dit la rivière des Outaouais.
Pour comprendre pourquoi, rembobinons le film des événements pour mieux saisir l’évolution de notre seigneurie, de ses débuts à son envol, avec l’arrivée des Papineau.
La Nouvelle-France est encore toute neuve. À peine 3 000 personnes de souche européenne y vivent, égrenées ici et là le long du Saint-Laurent, à l’est de la bourgade appelée Ville-Marie. À l’ouest de celle-ci, rien sinon d’immenses forêts traversées de lacs et de rivières que peuplent les nations iroquoises et algonquines, et que sillonnent des missionnaires et des coureurs des bois.
Cette lacune, la Compagnie des Indes occidentales, chargée par le roi Louis XIV de peupler la colonie en Amérique selon le modèle dit du régime seigneurial, s’empresse de la combler. En 1674, elle concède au premier évêque de Québec, François de Laval, un vaste territoire de cinq lieues de front sur cinq lieues de profondeur à l’ouest de Montréal, sur les rives de ce cours d’eau qu’on associait encore au fleuve Saint-Laurent. C’est là que chassaient autrefois les Weskarinis, au confluent des rivières du Lièvre, de la Petite Nation et Kinonge avec celle des Outaouais.
À titre de seigneur de la Petite-Nation, Monseigneur de Laval est donc censé arpenter sa seigneurie, la découper en lots (les censives), y attirer des colons (les censitaires), et veiller à leur bien-être en construisant routes et aménagements collectifs. Mais il a d’autres chats à fouetter, et par donation, il charge les chanoines du Séminaire de Québec de réveiller cette seigneurie qui dort.
1 – Monseigneur François de Laval
Creative Commons, Wilfredo Rafael Rodriguez Hernandez, CC BY-SA 4.0
Ces Messieurs du Séminaire de Québec sont eux aussi bien loin de leur profit. De peine et de misère, ils parviennent à faire signer un bail pour des lots de 12 arpents de front sur la rivière des Outaouais par 40 arpents de profondeur à trois commerçants montréalais qui acceptent de s’établir dans cette seigneurie isolée : Jean-Baptiste Daguille s’installe sur une partie de l’île à Roussin, en bordure de la grande presqu’île de Plaisance; Joseph Parent prend l’autre moitié de l’île à Roussin et une autre île à l’entrée de la baie de la Pentecôte; et Simon Guillory s’établit sur une pointe de terre située dans ce qui est aujourd’hui la baie des Arcand.
Soixante-dix ans plus tard, la seigneurie ne décolle toujours pas. Il faut dire que les autorités gouvernementales voient d’un mauvais œil tout développement dans ce secteur de l’Outaouais, passage obligé pour le lucratif commerce des fourrures entre les « voyageurs » et les Nations des Pays-d’en-Haut (la région des Grands Lacs). Les missionnaires, de leur côté, redoutent les effets du trafic de l’eau-de-vie auprès des Premières Nations.
2-Rivière des Outaouais, ©Marie Josée Bourgeois, 2019.